La faute du salarié ne saurait reposer exclusivement sur des témoignages anonymes
Cour de Cassation, Chambre sociale, 4 juillet 2018, n°17-18.241
« Vu l’article 6 §1 et 3 de la Convention de sauvegardes des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes ;
Attendu que pour dire que la procédure de licenciement est régulière et le licenciement justifié, la cour d’appel, après avoir retenu que l’atteinte aux droits de la défense fondée sur le caractère anonyme des témoignages recueillis par la direction de l’éthique n’est pas justifiée dans la mesure où le salarié a eu la possibilité d’en prendre connaissance et de présenter ses observations, s’est fondée de manière déterminante sur le rapport de la direction de l’éthique ;
Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »
Notre commentaire :
La preuve est-elle tout à fait libre en matière prud’homale ? Jusqu’à présent, la Cour de cassation répondait traditionnellement par l’affirmative au travers de sa jurisprudence (voir par exemple Cass. soc., 27 mars 2001, n°98-44.666), sauf en ce qui concerne les preuves obtenues de manières déloyales ou frauduleuse, par exemple via l’utilisation d’un procédé clandestin de surveillance (Cass. soc. 20 nov. 1991, n°88-43.120).
Si ce principe jurisprudentiel n’est énoncé dans aucun texte, cette liberté de la preuve se comprend aisément : en matière prud’homale, une partie cherche à établir la matérialité de faits dont elle entend tirer des conséquences en droit (V. J.-Y. Frouin, la loyauté de la preuve en droit du travail, Procédures n°12, décembre 2015, dossier 23).
La Cour de cassation est cependant venue apporter un tempérament à ce principe bien établi dans un arrêt rendu le 4 juillet 2018.
En l’espèce, un salarié de la SNCF avait été licencié pour s’être montré insultant à l’égard de sa hiérarchie ainsi que pour avoir tenu des propos à connotation sexuelle et racistes envers ses collègues.
Le rapport rédigé dans le cadre de l’enquête interne diligentée comportait plusieurs témoignages de salariés témoignant anonymement des faits qu’ils avaient pu constater.
Au visa de l’article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui garantit le droit à un procès équitable et de l’article 6§3 sur le droit de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, la Cour de cassation donne finalement raison au salarié.
La Haute Cour considère en effet que les juges du fond ne sauraient se fonder uniquement ou de manière déterminante sur un rapport rendu sur la base de témoignages anonymes pour justifier le licenciement d’un salarié pour faute.
L’employeur devra désormais tenir compte de ce nouveau principe jurisprudentiel dans le cadre des éventuelles procédures disciplinaires diligentées notamment pour harcèlement ; les témoignages anonymes ne pouvant suffire, à eux seul, à justifier un licenciement.
A contrario, la Cour de cassation ne semble pas pour autant rejeter de manière absolue ce type de témoignages, dès lors qu’ils viennent vient au soutien d’autres modes de preuve dont les circonstances peuvent être débattus contradictoirement (témoignages de personnes identifiées, e-mails/écrits du salarié, dossier disciplinaire…).